L’Anax imperator (Aeshnidae) est un des plus spectaculaires Odonates d’Europe, par son vol dominant, sa très grande taille (66 à 84 mm) et l’élégance de sa livrée. Il est très commun en plaine.

Description – Identification
Les mâles matures de l’Anax empereur (1) ont des yeux verts ou bleu-vert et portent un pentagone sur le front. Le thorax est vert sans bandes antéhumérales ni motifs, mais bleu juste en avant des ailes, le premier segment est également vert, le reste de l’abdomen est bleu avec une bande noire médiane.
Ils sont souvent en vol un ou deux mètres au-dessus de l’eau et on peut donc facilement les confondre :
– au printemps avec Brachytron pratense, l’Aeschne printannière qui semble aussi ne jamais se poser. Il est plus petit, son thorax est marron devant, avec une bande antéhumérale jaune et deux lignes brunes sur la face latérale du thorax (pas de bleu avant les ailes), son abdomen est plus sombre. Son vol est erratique, il zigzague et cherche les femelles le long des rives en volant bas.
– en été avec Aeshna affinis dont le thorax est marron dessus et jaune sur les côtés.
Anax parthenope est plus rare, plus petit, avec un thorax sombre, des segments deux et partiellement trois bleus, le reste des segments étant plus sombre.
Anax epipphiger, aux yeux bruns, est occasionnel, plus terne, couleur sable avec une selle bleue limitée au segment 2.
En juin et juillet, une très grande libellule vivement colorée qui arpente incessamment un segment de rive d’une grande mare ou d’un étang, en chassant les intrus ou les adversaires, a de très fortes chances d’être notre Empereur.

Les femelles portent le même pentagone sur le front, les yeux sont verts comme le thorax, l’abdomen est vert, parfois bleu, souvent avec une ligne sombre plus ou moins large sur sa face dorsale. Lorsque l’abdomen est bleu, elles portent les mêmes taches bleues avant les ailes.
Elles sont fréquemment rencontrées en ponte, seules, alors que les femelles des autres espèces citées sont beaucoup plus discrètes, voire rarement photographiées. Elles s’en distinguent par les mêmes critères de coloration thoracique que pour les mâles. Les femelles B. pratense et A. affinis sont jaunes, les femelles A. parthenope ont les ailes colorées entre le nodus et le ptérostigma (A. imperator entre le triangle et l’apex), les femelles A. epipphiger sont complètement ternes.
Habitat et distribution géographique
L’Anax imperator accepte toutes sortes de milieux en France, il est cependant plus commun sur les eaux stagnantes ensoleillées et on peut le rencontrer sur des eaux faiblement courantes. Il lui importe peu que les eaux soient acides comme en tourbières, saumâtres ou polluées, elles peuvent même être peu végétalisées pour peu qu’il y ait des supports d’émergences et des arbres à proximité. Il lui faut un minimum d’espace pour développer son vol et s’il lui faut plus qu’une simple flaque pour être heureux, il est peu commun sur les très grandes pièces d’eau.
En France, il est commun et présent partout, même s’il est beaucoup plus abondant en plaine et en dessous de 1600 mètres (2).
Atlas Dynamique des Odonates de France
C’est une espèce Africaine qui étend régulièrement et rapidement son aire de distribution gigantesque vers le nord. On le rencontre maintenant de la Suède au sud de l’Afrique (ici, en Afrique du Sud), il est présent à Madagascar et à la Réunion. Il est présent dans toute l’Europe, sauf au nord du Royaume-Uni et au nord de la Suède, et de plus en plus rare et éparpillé jusqu’au sud-ouest de l’Asie (3).
IUCN Red List

Période de vol
En France, on le signale de la mi-avril au début de novembre, mais il est vraiment très abondant en juin et juillet.
Comportement -Écologie
Je ne peux que recommander de lire les pages écrites par André Robert (4) au sujet de cet Anax, alliant précision naturaliste et poésie, dans un délicieux style « à l’ancienne » ; beaucoup des détails que je donne ici en sont issus.
Bien évidemment, si l’on veut consulter une étude scientifique sur l’Histoire Naturelle de l’Anax imperator, le document de 70 pages de P. Corbet (5) est incontournable et consultable sur le Web.
On l’observe le plus souvent les effectuant des allers-retours le long de la berge de l’étang, chassant les intrus, poursuivant et écartant les concurrents, pour revenir à son incessant manège, qu’il ponctue parfois de court vol stationnaire ; il fait alors les délices des photographes ! Mais son but est bien de défendre son territoire et de trouver une femelle occupée à pondre pour s’accoupler.
Les accouplements sont cependant rarement observés, se déroulent à l’abri et durent d’une dizaine de minutes à une heure (2) ou cinq à dix minutes (4). La femelle reprend alors discrètement le chemin de la ponte pour déposer ses œufs à des endroits soigneusement choisis, se posant sur des champs de plantes aquatiques (potamots) ou à défaut des tiges de végétaux décomposés ou du bois mort où elle insère ses œufs. Il s’écoule ensuite de 15 à 50 jours entre la ponte et l’éclosion.
La phase larvaire dure 3 à 4 mois à 2 ans, en fonction des conditions climatiques, expliquant que l’espèce soit bivoltine dans le sud de son aire, univoltine en France et semivoltine en Europe du Nord ou en montagne.
Les émergences, d’abord massives et synchronisées en quelques jours du printemps, peuvent laisser de spectaculaires empilements d’exuvies, et vont ensuite s’étaler sur l’été (5). Elles se produisent en fin de nuit et dure plus ou moins longtemps selon la température.
Étymologie

Il faut tout d’abord revenir avec Régis Krieg-Jacquier (6) sur la récente modification (2021) de la nomenclature au sujet de ce Blue emperor (comme l’appellent les anglo-saxons), je le cite intégralement : « …Il s’agit parfois de modifications dans la mention des auteurs des descriptions originales des espèces comme ce fut le cas en 2021 pour Anax imperator Leach, 1815 qui devenait ainsi Anax imperator Leach in Brewster, 1815, la référence antérieurement utilisée (cf. p. ex. Bridges, 1994) étant inexacte. En effet, tous les genres attribués jusque-là à Leach, 1815 sont maintenant à attribuer à Leach in Brewster, 1815. Le genre Anax est nommé page 137 du tome 9 de Brewster (1830), dans le chapitre Entomologie (pp. 57-172), avec une seule espèce citée (A. imperator), sur la foi d’une description de Leach, et la description du genre devient donc également la description de cette espèce. Ce volume est daté MDCCCXXX (1830) comme tous les autres volumes (date du dernier volume de cette encyclopédie). Toutefois, le fascicule contenant la description du genre Anax a été publié en 1815.«
Ailes avant expansion d’un Anax imperator mâle émergent, St Rémy en Mauges (F-49), 13/05/2010
Anax, d’un mot grec signifiant roi, souverain et est attribué au caractère dominant que suggèrent sa grande taille et son comportement (7)
Imperator, du latin imperator, qui signifie chef puis empereur, insiste sur le caractère apparemment dominant du plus commun des insectes géants d’Europe.
1- Leach, W. E. (1815). Entomology. In: Brewster, D. (ed.) The Edinburgh Encyclopaedia. Volume IX. Edinburgh: William
Blackwood: 137
2- Daniel Grand et Jean-Pierre Boudot, Les Libellules de France, Belgique et Luxembourg, collection Parthénope, 2006
3- Atlas of the European dragonflies and damselfies, Jean-Pierre Boudot & Vincent J. Kalkman, KNNV Publishing, 2015- P. 173-175
4- Paul André Robert, Les Libellules, Delachaux et Niestlé, 1958
5- Philip S. Corbet, 1957 – The Life-History of the Emperor Dragonfly Anax imperator Leach (Odonata: Aeshnidae) – Journal of Animal Ecology 26(1):1 – May 1957
6- Krieg-Jacquier R., 2024 – Isoaeschna isoceles (O.F. Müller, 1767) un nouveau nom binominal pour l’Aeschne isocèle (Odonata : Aeshnidae) – Martinia, 7 août 2024
7- Ian Endersby & Heinrich Fliedner, The Naming of Australia’s Dragonflies, Busybird publishing, 2015.
P.S. Pour écrire cette page, mes recherches sur le Web m’ont conduit à cet article de 2014, qui m’a laissé, comment l’écrire impartialement, pour le moins dubitatif : « Effects of homeopathic Anax imperator on behavioural and pain models in mice« , June 2014- Homeopathy 104(1). Les scientifiques Turcs semblent particulièrement attachés à cette étude puisqu’on lit dans une citation référence à cet article : »The homeopathic dragonfly Anax imperator medicine is intended to treat attention deficit hyperactivity disorder (ADHD), obsessive-compulsive disorder (OCD), headache, sinusitis, and influenza. In addition, it produced hyperactivity and weight loss in naive mice and had antidepressant, anxiolytic, and analgesic effects (Mutlu et al., 2015).
Et moi, béotien, qui me contentait de les photographier sans imaginer leur potentiel thérapeutique !