Cannibalisme des Zygoptères – Cannibalism within damselflies

Définition
Le cannibalisme est une prédation au sein d’une même espèce, c’est une une prédation intraspécifique. Et non interspécifique (entre deux espèces différentes).  Le cannibalisme des zygoptères ne concerne que des agressions entre 2 espèces identiques, du type Ischnura elegans x Ischnura elegans, et non pas Lestes sponsa x Lestes virens ou Ischnura elegans x Platycnemis pennipes, par exemple ( j’ai reçu de très nombreuses photos de prédation entre espèces ou genre différents).

Méthode
J’étudie et je photographie les odonates de mon pays et de bien d’autres depuis près de 20 ans, et lorsqu’en février 2020, j’ai eu la chance d’observer un cas de cannibalisme, j’ai recherché quelles étaient les références dans la littérature odonatologique.
Ma recherche a débuté, bien sûr, par Corbet,1962 & 1999, puis Researchgate (une aide inestimable depuis des années) et les moteurs de recherche sur le Web.
Les réseaux sociaux qui sont incontournables quand on recherche des observations, en particulier Facebook, Inaturalist, Flickr, Youtube ont apportés de très nombreux témoignages. La « science participative », validée en peer to peer, joue un rôle majeur dans le recueil de données. 

Dernière mise à jour : 14/11/2025.            Historique des mises à jour et données détaillées 

Cannibalisme des zygoptères, Ischnura heterosticta, Australie (WA),  22/04/2022, photo B. Guillon
Ischnura heterosticta, cannibalisme entre femelles, Australie (WA), 22/04/2022, photo B. Guillon

Dans la littérature
Le cannibalisme a été largement étudié sur les larves de zygoptères ou d’anisoptères (épiproctophora !), essentiellement en laboratoire. Mais jamais sur le terrain et il n’existe que peu de documents y faisant allusion.
La littérature odonatologique m’a aussi confirmé que le cannibalisme est extrêmement rare parmi les imagos des Zygoptères et encore plus pour les Anisoptères (Epiproctophora). Il est évident que beaucoup de cas observés ne sont pas rapportés.

En décembre 2020, le document d’Arajush Payra (1) rappelle les 12 espèces de zygoptères mentionnées dans la littérature (Utzeri (2), notamment) et en ajoute une, Ceriagrion coromandelianum, qu’il a observé en janvier 2014 au Bengale Occidentale. Il me semble tout de même naturel d’exclure une de ces données, Coenagrion puella, qui relève une observation expérimentale dans une enceinte fermée (3) avec une haute densité d’individus ainsi que certaines données de Fincke, 1987 en insectarium.
Entre 2020 et juillet 2024, j’ai collecté de nombreux cas sur les sites de sciences participatives, faisant et répétant des annonces sur de très nombreux groupes Facebook, contactant systématiquement les auteurs des données pour obtenir leur accord sur la diffusion de leurs données. J’ai créé début 2024 sur Inaturalist un projet destiné à regrouper spécifiquement les données de prédation intraspécifiques.
En juillet 2024, Binish Roobas & Gary R. Feulner (10) rapporte un cas de cannibalisme entre Agriocnemis pygmaea.


Les données collectées
Voici d’abord les données réunies pour le cannibalisme des Zygoptères,  publiées sur ce site Web en mai 2024 pour la version française et les données connues à cette date, avec un accès limité. La page a été revue, éditée et mise à jour avec les dernières données que l’on m’avait communiquées jusqu’au 28 août 2024. Elle est maintenant régulièrement éditée.

[L’âge est bien sûr une donnée subjective et difficile à apprécier. « pc. » vaut pour communication personnelle]

Malheureusement, le plugin de traduction automatique altère légèrement la mise en page du tableau ; pour une mise en page correcte, il faut revenir au Français.

EspèceSexe et âge
du prédateur
Sexe et âge
de la proie
Origine de la donnée
Agriocnemis pygmaea♀ ? (**)♂ matureB. Roobas & G. R. Feulner, 2024 (10)
Archilestes grandis♂ matureténérauxBick, 1979 (*)
Ceriagrion auranticum♂ mature♀ matureReels, 2008 (6)
C. cerinorubellum♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♂ mature
♂ mature
♀ mature
♀ mature
♂ mature (?)
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♂ immature
♂ mature
♀ mature
Tang HB, 2007, pc., forumvidéo
Ussan S., 2014, Facebook
Banerjee, 2016, pc., photo
E. L. Ong, 2016, Youtube
SY Boh et al., 2016, Inaturalist
Chartier, 2016, pc., photo
Melvyn Yeo, HubPages
Li & Ng, 2025, pc, photo.
C. coromandelianum♀ mature

♀ mature
♂ jeune/immature
♂ ?
♀ immature
Payra A., 2014 (1)
Renju In, 2023, Facebook, photo
Renju In, 2023, Facebook
C. glabrum♂ mature
♀ mature
♂ immature
♂ mature
Yerokine, 2015, pc., photo
Yerokine, 2018, c., photo
C. lieftincki♂ mature♀ immatureTarján, 2021, pc. photo et vidéo
C. melanurum♂ mature
♂ mature
♀ ténérale
inconnu
Yamamoto 1971 *
Aoyanagi, 1973 *
C. tenellum♀ jeune
♂ mature
♂ jeune
♂ immature
Coste A., 2021, pc., photo
Esnault F, 2011, forum LMI
Coenagrion armatum♀ immature♀ immatureSchmidt E. 1968, in Libellula (18)
Enallagma civile♂ mature (2 obs.)
♂ mature
♂ mature
♀ ténérale (2 obs.)
♀ immature
♀ immature
Bick, 1963 *
Farley M., 2016, Inaturalist
Farley M., 2016, Inaturalist
E. cyathigerum♂ mature
♂ mature
♀ ténérale
♀ ténérale
Sticht, 2011, Waarneming.nl
Ricardo Menez, 2012, Flickr
Euphaea disparadultesténérauxFraser In Corbet, 1962 *
Hetaerina americanaadultesadultesBick & Sulzbach. 1966 *
Ischnura asiatica♀mature♂ matureDoggy0406, 2018, Inaturalist
I. elegans♀ mature
♀ mature
♂ mature
♀ mature
♀ mature
♀ ?
♂ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ immature
♀ ?
♀ mature
♀ mature
♀ immature
♀ immature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♂ mature
♀ immature
♂ ténéral
♂ mature
♀ mature
♀ immature
♂ ténéral
♂ ?
♀ ?
♂ mature
♂ immature
♂ immature
♂ jeune
♀ immature
♀ immature
♂ ?
♂ jeune
♀ immature
♀ immature
♀ immature
♂ mature
♀ ?
♂ ténéral
♂ immature
♀ immature
♂ ténéral
Müller, 1972 * (17)
Utzeri, 1976 *
Papazian, 1984 (5)
Nowak M., 2008 (20)
Arhuro R., 2009, iNaturalist
Jukka Ahti, 2010 pc.
Billquist, 2014, pc., photo
Onishko, 2022, pc. Inaturalist
Mazzoleni, 2017, Inaturalist
Smith M., 2019, Flickr
Martinez T., 2020, Flickr
Claes, 2023, Facebook
Cham, 2024, Facebook
Ahti J., 2010 (9)
Fereol J., 2018, pc., photo
Kotter D., 2021, pc., Inaturalist
Kotter D., 2023, pc., inaturalist
Kotter D., 2023, c., inaturalist
Desmarres S.,, 2024, pc., photo
Pépin J., 2025, iNaturalist
Iversen D., 2025, iNaturalist
Guillon B., 2025, page Web
Fischer W., 2025, Facebook
Mallet-Baucor A., 2025, pc, iNat
I. genei♂ mature
♂ mature
♀ immature
♀ immmature
♂ mature
♀ mature
♂ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ âge inconnu
♀ ténérale
♀ immature
♂ immature
♀ mature
♀ mature
♂ ténéral
♂ mature
♂ teneral
♂ immature
♀ mature
? ténéral
Villar I. S., 2012, Flickr
Gauci C., 2013, pc,. photo
Gauci C., 2024, pc., photo
Gauci C., 2025, Facebook
Gauci C., 2025, pc, Facebook
Gauci C., 2025, pc, Facebook, (120)
Gauci C., 2025, pc, Facebook, (121)
Gauci C., 2025, pc, Facebook, (122)
Gauci C., 2025, pc, Facebook, (123)
Gauci C., 2025, pc, Facebook, (124)
Gauci C., 2025, pc, Facebook, (125)
Gauci C., 2025, pc, Facebook, (126)
I. hastata♀ mature
♀ immature
♂ ténéral
♂ immature
Moore, 2013, pc, photo
Cordero Riviera, 2018, Facebook
I. graellsii♀ matures x 6
♂ mature
♂ mature
♂ mature
♀ immature
♀ mature
♂ mature x 6
jeune ♂
jeune ♀
♂ mature
?
♂ mature
Cordero Riviera, 1992 (4)
Cordero Riviera, 1992 (4)
Cordero Riviera, 1992 (4)
Lopez A. T., 2019, pc., photo
Lopez A. T., 2019, pc., photo
Curiel F., 2025, Facebook
I. heterosticta♀ mature
♀ mature
♀ mature
jeune ♀
♂ ténéral
♂ mature
Guillon B., 2022, page Web
Reiner, 2020, iNaturalist
Benstead P., 2025, iNaturalist
I. kellicoti♀ mature♀ immatureHannisian M., 2021, Odonata Central
I. posita3 ♀ matures
♀ mature
♀ ?
3 ♀ ténérales
♀ ténérale
♂ ténéral
Robinson, 1980 (8)
Schwartz N., 2020, iNaturalist
Gooding, 2019, iNaturalist
I. ramburii♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ immature
♀ mature
♂ mature
♀ ?

♀ immature
♂ immature
♀ immature
Robertson, 1985 (13)
Valerie, 2007, Larval Bugs
Deviche, 2013, pc., photo
Deviche, 2018, Arizona Dragonflies
Gamello, 2022, pc., photo
Schwartz, 2020, iNaturalist
I. saharensis♀ mature♂ ténéral2017, Martinez-Darve Sanz, photo
I. senegalensis♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♂ ténéral
♂ mature
♀ mature
? émergent
♂ mature
Guillon, 2020, page Web
stijn-de-win, 2023, iNaturalist
chiehliangchen, 2023, iNaturalist
Chuan J., 2024, Flickr
Cordeiro M., 2025, Facebook
I. verticalis♀ mature
♀ mature
♀ mature
♀ matures 2
♀ matures 2
♀ mature
♀ mature
♀ mature
♂ ténéral
♂ ténéral
♀ ténérale
♀ ténérales 2
♂ ténéraux 2
♀ immature
♂ ténéral
♂ jeune
Bick, 1979 *
Bick, 1979 *
Bick, 1979 *
Fincke, 1987 (14)
Fincke, 1987 (14)
?, 2010, D & D s-c Hasting County, Ont.
Jackson D., 2016, pc., photo
Garrison M, ?, Damsel. of Chicagoland
Leptobasis vacillans♂ mature♂ matureSchoch, 2017, pc., photo
Lestes macrostigma??Hartung M, 1986, Libellula 7(12) (19)
L. virens♂ mature♂ immatureVážka, 2019, pc., photo
Pseudagrion pilidorsum♀ mature♀ immaturechiehliangchen, 2017, Inaturalist
P. pruinosum♂ mature♂ (?) immatureNg Marcus, 2023, pc., photo
Pyrrhosoma nymphulaadultes
♂ mature
♀ mature
ténéraux
♀ ténérale
♂ ténéral
In Corbet, 1962 *
Dubois Y., 2011, Forum LMI, photo
Flo. L, 2019, pers. com., forum LMI
* cas cité par Utzeri ou observé par Utzeri
** Les femelles rouges ont été considérées comme immature mais on les rencontre régulièrement accouplées.
Cannibalisme des zygoptères, Ischnura senegalensis ♀ dévorant un jeune ♂, Namibie,  08/02/2020, B. Guillon
Ischnura senegalensis ♀ dévorant un jeune ♂, Namibie, 08/02/2020, B. Guillon

Résultats
À la lecture du tableau, une constatation s’impose ; 2 genres, Ischnura et Ceriagrion, regroupent 19 des 31 espèces en cause, dans un minimum de 126 cas au total (on estime qu’il y a au minimum 2 cas dans la donnée de Bick, A. grandis, 2 dans la donnée Bick, 1963 pour E. civile, 2 dans celle de Bick & Sulzbach pour H. americana, 1966 et également 2 dans In Corbet, 1962 pour P. nymphula puisque ces données sont plurielles). 

Que le genre Ischnura soit en tête n’est pas vraiment une surprise ; c’est un genre répandu sur les 5 continents, dont certaines espèces sont extrêmement communes localement.  L’espèce que je connais le mieux est bien sûr I. elegans et j’ai eu des centaines de fois l’occasion d’observer son agressivité et ce qui nous semble être de la provocation quand il cherche à chasser des anisoptères de leur support. On trouve de nombreuses photos où on le voit dévorer d’autres zygoptères (ici mangeant un Erythromma najas émergent).
C’est le genre le plus photographié sur iNaturalist (233.000 observations en mars 2025) et dans les données recueillies, il totalise à lui tout seul 81 cas sur 126 soit 64% des évènements ! C’est un résultat à comparer à ceux du genre Argia, qui, s’il n’est présent que sur le continent Américain, atteint plus de 203.000 observations (mars 2025) sur la même plateforme mais pour lequel aucun cas de cannibalisme n’est documenté !

Je suis plus surpris par la présence à la seconde place du genre Ceriagrion, 18 cas sur 126 observations  (22.600 observations en mars 2025 sur iNaturalist), dont je ne connais vraiment bien que C. tenellum, qui est minuscule (25 à 30 mm, mais la taille a finalement peu de sens, prédateur et la proie ont sensiblement la même taille) et semble bien fragile, inoffensif et délicat puisque Agrion délicat est son nom vernaculaire français. Je n’ai jamais remarqué son agressivité.


Analyse numérique
Dans 13 cas, le sexe du prédateur ou de la proie ou des deux individus n’est pas identifié ; ces occurrences ne sont pas prises en compte ci-dessous et on limite le nombre de cas traités à 113 sur les 126 figurant sur le tableau ci-dessus.

Dans 81 cas sur 113 (72%)  la femelle est prédatrice, dans 51 de ces cas (63%) c’est un mâle qui est victime de cette prédation, dans 26 cas seulement (32%), la proie (mâle ou femelle) est considérée comme mature.
Dans 32 cas (29%) le mâle est prédateur, dans 20 de ces cas (62%) une femelle est la proie, dans 6 cas (19%) la proie (mâle ou femelle), est considérée comme mature.
Sur tous ces comportements de cannibalisme, dans 33 cas seulement (29 %), la proie est mature, elle est autrement considérée jeune, immature ou ténérale.

Discussion
Ces données montrent donc clairement que les femelles sont les plus enclines à consommer des membres de leur espèce, et que ces victimes sont beaucoup plus souvent des mâles jeunes ou très jeunes (le manque de réaction de défense des proies, une fois capturées est toujours étonnant).
Mais que lorsque les mâles font œuvre de cannibalisme, les proies sont bien plus souvent des femelles ! Et cette donnée est très intéressante, car elle remet en question l’hypothèse de rapport de taille. Beaucoup d’analyses plus anciennes étaient sans doute biaisées par le faible nombre d’observations de mâles prédateurs.
Il n’y a donc plus seulement, comme on l’a pensé à expliquer pourquoi les femelles mangent prioritairement les mâles, mais également pourquoi les mâles préfèrent-ils dévorer les femelles ! Ce qui est en accord la thèse d’Utzeri, 1980, évoquée plus bas.

La question du cannibalisme en lui-même, un tabou pour la plupart des cultures humaines, n’a peut-être pas vraiment d’intérêt spécifique pour les odonates, car de nombreuses espèces d’insectes sont cannibales (11)(15) ; on en donne des explications diverses et variées, particulières et spécifiques pour certains ordres, mais la grande majorité relèvent de l’opportunisme, une certaine facilité à consommer ce qui est à disposition dans son environnement, une prédation « ordinaire ». C’est ce qu’avance Utzeri, 1980 (2).
Les observations de prédation extra spécifiques sont nettement plus communes que celle de cannibalisme ; un raisonnement par l’absurde montre que si le cannibalisme prévalait, les espèces seraient en danger ! Il faut donc imaginer qu’il existe tout de même un signe, un signal, une communication qui prévient la consommation habituelle des membres de sa propre espèce. C’est aussi ce que suggère Utzeri, 1980 (2) et qui reste à mettre en évidence.
Corbet, 1999 (p. 368) reprend cette thèse d’Utzeri, expliquant que si les victimes du cannibalisme sont très majoritairement des jeunes, c’est qu’elles ne peuvent inhiber l’attaque, n’étant pas (encore) capables d’afficher un comportement menaçant. Et pour les sujets émergents, ils ne sont pas aptes à se défendre du tout.
Il est certain que la très forte densité d’individus d’une même espèce observée dans certains cas, pour les Ischnura ou les Ceriagrion, est un facteur à considérer. 

Un cas très particulier est celui du cannibalisme par Ischnura genei rapporté par Charles Gauci sur l’ile de Malte ; ces observations sont faites sur une mare très densément peuplée par cette espèce (le 10 octobre 2025 il compte 552 individus, le 14 octobre 485 !) en sachant que I. genei est le seul zygoptère présent sur l’ile. Sa vidéo donne une idée de la situation. Densité et opportunisme sont certainement en cause dans ce cas.

Les femelles cannibales
Il est intéressant de chercher à comprendre pourquoi les femelles sont majoritairement prédatrices, car les observations sont rares et on sait que les femelles de zygoptères sont moins facilement vues que les mâles ; il est donc à supposer qu’encore plus de cas de femelles cannibales restent inaperçus. Et, en effet, on note que le cannibalisme est un comportement particulièrement observé dans le genre Ischnura, un genre dans lequel les femelles sont aussi présentes et visibles que les mâles au bord de l’eau.

Utzeri (2) propose sur la base de ses observations d’Ischnura elegans que les femelles, peu agressives envers les mâles et ne montrant pas de réponse à l’agressivité des mâles (contrairement aux mâles qui fuient ou agitent leur abdomen), sont dépourvues de ce comportement de danger et ne le comprendraient pas de la part des mâles de leur propre espèce dont elles vont se nourrir. Utzeri pense que l’on pourrait étendre ce comportement à l’ensemble des zygoptères : pourtant les femelles de nombreuses espèces réagissent aux mâles lorsqu’ils approchent, comme les femelles Calopteryx sp. ou I. verticalis (Fincke, 1987, Wings flutter display) sans fuir, il est vrai.
Cette thèse expliquerait néanmoins la surconsommation, par les mâles, de femelles qui n’exhiberaient pas de comportement de défense.

On considère que les femelles sont plus lourdes, plus robustes, qu’elles ont des besoins alimentaires importants pour satisfaire leur production ovarienne, 2 facteurs qui leur donneraient une voracité plus marquée ; sans doute, mais elles sont beaucoup moins actives et ne passent pas leur temps en vol à défendre un territoire au prix d’une importante dépense énergétique… Et si elles sont plus « fortes » que les mâles, pourquoi les mâles cannibales les choisiraient-elles préférentiellement ?

Conclusion
Il ne fait pas de doute que le cannibalisme des zygoptères va à l’encontre de la survie d’une espèce et que la thèse d’une communication défaillante de la part de la proie ou de l’incapacité du prédateur à comprendre ce signal, fait certainement partie de l’explication de ce phénomène complexe et sans doute multifactoriel. Certaines thèses comme le froid (3) ou le manque de nourriture et la surdensité sont mises en retrait, car elles ne sont pas en accord avec les circonstances environnementales des observations que j’ai pu rencontrées ou collecter concernant des imagos, même si elles ne peuvent être exclues dans certains cas particuliers.
Continuer à rassembler un grand nombre d’observations est indispensable, car comme on s’en aperçoit pour la prédation par les mâles, un faible nombre de données pourrait fausser la perception du phénomène pour les deux sexes.
Tant que l’on n’aura pas réuni un nombre suffisant d’événements détaillés, toutes les explications proposées pour expliquer pourquoi le cannibalisme des zygoptères est plus fréquent de la part des femelles, pourquoi les femelles consomment surtout des mâles et les mâles des femelles, resteront des hypothèses à considérer avec prudence. 
C’est un sujet difficile à étudier, car les événements naturels sont rares ; la science participative, les observations documentées sont particulièrement à encourager.

Les données réunies pour les Épiproctophora (ex-Anisoptères) sont maintenant disponibles ici.

Remerciements
Je remercie les naturalistes amateurs, observateurs bénévoles et passionnés, qui ont accepté de me fournir leur données, me les ont proposées, ou m’ont aidé à les dénicher. Et les professionnels, entomologistes, comportementalistes et biologistes, etc…  qui m’ont autorisés à utiliser leurs données et leur photos ou m’ont aidé à diffuser ma recherche, en particulier au U.S.A.

-1  Arajush Payra, A record of cannibalism in Ceriagrion coromandelianum Fabricius (Zygoptera: Coengrionidae), Revista de la Sociedad Entomológica Argentina 79(4): 44-46, 2020.
-2  C. Utzeri, Considerations on cannibalism in Zygoptera, Notul. odonatol., Vol. I, No. 6, pp. 97-112, December I, 1980.
-3  J. Rolff and C. Kröger, Intraspecific predation in immature Coenagrion puella (L.): a switch in food selection? (Zygoptera: Coenagrionidae), Odonatologica 26(2): 215-219, June I. 1997.
-4  Adolfo Codero, Sexual Cannibalism in the Damselfly Species Ischnura graellsii (Odonata: Coenagrionidae), Entomol. Gener. 17(1): 017-020, Suttgart 1992-05.
-5  Papazian Michel, Alimentation et Cannibalisme chez les odonates adultes, Martinia n°3, Mars 1986.
-6  Reels G. T., Insects News, Hong Kong Entomological Society Newsletter, n° 4, 2012, p 13-14.
-7  Corbet Philip, A Biology of Dragonflies, 1962.
-8  Robinson James V., Effects of Water Mite Parasitism on the Demographics of an Adult Population of Ischnura posita (Hagen) (Odonata: Coenagrionidae), The American Midland Naturalist, January 1983.
-9  Karjalainen, S. & Mäkinen, J. 2013. Sudenkorennot toisten sudenkorentojen saaliina: havaintoja Suomesta. Crenata 6: 12-16.
-10  Binish Roobas & Gary R. Feulner, A record of cannibalism in Agriocnemis pygmaea (Rambur, 1842) (Zygoptera: Coenagrionidae): a mature female consuming a mature male, Yala National Park, Sri Lanka, Agrion28(2) – July 2024.
-11  Alalabi, Patiny, Verheggen, Francis, Haubruge – Origine et évolution du cannibalisme dans les populations animales : pourquoi manger son semblable ? Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2009 13(3), 409-425.
-12  Corbet, P.S. 1999. Dragonflies – Behaviour and Ecology of Odonata. Cornell University Press, Ithaca, New York.
-13  Robertson H.M., 1985 – Female dimorphism and mating behaviour in a damselfly Ischnura Ramburi : female mickmicking males – Anim. Behav. 33: 805-809.
-14  Fincke O. M., 1987 – Female monogamy in the damselfly Ischnura verticalis Say (Zygoptera: Coenagrionidae), Odonalologica 16(2): 129-143.
-15  Polis, G. A. (1981). « The Evolution and Dynamics of Intraspecific Predation« . Annual Review of Ecology and Systematics. 12: 225–251.
-16  Van Buskirk, (1989) Density dependent cannibalism in larval dragonfliesEcology, 70, 1442-1449.
-17  Müller K., Kannibalismus bei Ischnura elegans (Vander Linden) während der Paarung (Zygoptera: Coenagrionidae), Odonatologica I(I): 51-52 – March I, 1972.
-18  Schmidt E., Zum Kannibalismus bei mitteleuropäischen Zygopteren, Libellula (4) : 21-31.
-19  Hartung M., Eine heteromorphe regeneration an einer exuvie von Lestes macrostigma (Eversmann, 1836), korrigierte version, Libellula 7(1/2), 67-75, 1988
20- Nowak M., Intrasexueller cannibalismus bei Ischnura elegans, Mercuriale – Libellen in Baden-Würtemberg, Band 12, 2012.


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Juliand
Juliand
1 année il y a

Bravo Benoît pour cet article bien documenté, très bien écrit et qui apporte des informations intéressantes.

Erkaji
Erkaji
1 année il y a

Bravo Benoît pour ce travail que j’ai enfin pris le temps de lire !
Maintenant, il faut que tu nous publies un article dans Odonatologica et une présentation lors du prochain Ecoo en Pologne, voire, l’année prochaine en Colombie pour l’Ico !
Régis

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