Selys a d’abord décrit Libellago stictica (Chlorocyphidae) comme une race supposée de Micromerus stigmatizans ,1859 (1), puis comme Micromerus sticticus en 1869 (2). Le genre Micromerus est aujourd’hui disparu.
C’est M.A. Lieftinck qui dans ce document (3), et adhérant à la proposition de Fraser, a réuni tous les Micromerus de Selys dans le genre Libellago.
Et Selys ne s’était pas trompé, Libellago stigmatizans et stictica sont effectivement très proches, mais si L. stigmatizans n’est pas présent à Bornéo, et L. stictica en est endémique.
Il est aussi proche de L. lineata (ici au Vietnam) et de L. aurantiaca dont l’abdomen est aussi orange, mais ces deux espèces ne portent que des lignes jaunes sur le thorax et non cette tache en forme de feuille à la partie antérieure (4). Il est aussi légèrement plus grand ; A. G. Orr nous dit que son aile postérieure mesure 17 à 18 mm, aile qui est d’ailleurs bien plus longue que l’abdomen, une des caractéristiques des Chlorocyphidae. L’insecte entier est donc très petit, à peine plus de 25 mm.
Entre les ocelles et les antennes, ils portent un dessin complexe et spectaculaire, qui rajoute à la singularité de la face.
Ils habitent les rivières en forêts, en plaine, et se plaisent à établir leur territoire sur les troncs d’arbres morts semi-immergés sur lesquels les femelles viennent pondre. Ils sont agressifs avec les autres mâles et combattent en vol en se faisant face, exhibant à la fois la face blanche de leurs pattes antérieures et l’extrémité colorée de leurs ailes postérieures. A.G. Orr écrit qu’ils sont présents peu de temps sur les sites de reproduction, à peu près une heure l’après-midi. Les nôtres étaient en avance !
Libellago stictica mâle, Sarawak, Rivière Timuoh, Annah Rais Hot Spring, 24/03/2025
Sur cette de rivières, ils se partageaient les supports avec Libellago semiopaca, Heliocypha biseriata, Dyspahea dimidiata et Neurobasis longipes. Il est à noter que c’est notre septième jour de prospection et le premier jour où il ne pleut pas !
Il est rarement contacté, il n’y avait que trois observations sur iNaturalist avant notre séjour.
Il est donc endémique de Bornéo, avec des données de Brunei, du Kalimantan mais surtout du Sarawak, où la pression d’observation est certainement plus forte.
IUCN Red List.
Les femelles occupées à pondre sur les bois morts se laissent approcher plus facilement que les mâles ; elles insèrent leurs œufs dans le bois en voie de décomposition, dans les parties immergées de celui-ci, résistant au courant sensible.
Elles sont très spectaculaires avec leur abdomen massif. Noter qu’elle ne présente pas le décor en forme de feuille sur le thorax, mais l’identification était sans problème, car les mâles se posaient sans cesse juste à leurs côtés.
Étymologie
Libellago ; le genre a été créé par Selys en 1840 et on pense (5) qu’il est formé du latin libellula pour libellule et de –ago, suffixe dérivé de virago, qui, en latin, signifie « femme forte et courageuse comme un homme » et donc éventuellement héroïne. C’est l’explication donnée par Ngiam et Ng, mais ne faut-il pas simplement s’arrêter au sens du suffixe -ago en latin (6) qui signifie conduire, dans le sens de diriger. Pour Selys donne-t-il cette qualité à ce genre est un mystère.
Stictica, du grec stiktos pour marqué, tatoué ; Selys dans son « Additions au Synopsis des Calopterygines » écrit : « Race ? Un exemplaire de Bornéo (même collection) a des taches jaunes aux 6° et 7° segments, et les bandes latérales jaunes du thorax sont maculaires. Si c’est une espèce, je le nommerai Micromerus sticticus. » Il s’agit d’un paragraphe de l’article dans lequel il décrit L. stigmatizans et il note que ce sujet en diffère par des taches jaunes, qui sont certainement à l’origine du nom d’espèce.
À noter que ce nom d’espèce est également donné à un Trithemis (Libellulidae) que j’ai rencontré en Namibie. Mais aussi à un Pericnemis (Coenagrionidae) et un Phyllopetalia (Austropetaliidae) !
Ci-dessous, on aperçoit, sous l’ovipositeur, le stylet qui perfore le bois en décomposition.
1- Selys, 1859 – Addition au Synopsis des Calopterygines. Bulletins de l’Académie royale des sciences, des lettres et
des beaux-arts de Belgique. P. 448.
2- Selys, 1869 – Secondes additions au Synopsis des Calopterygines – Bulletins de l’Académie royale des sciences, des lettres et
des beaux-arts de Belgique. P. 665
3- Lieftinck, 1932 – Notes on the Genus Libellago Selys, with Descriptions of two new species (Odon.) – Konovia : Vienne.
4- A Guide to the Dragonflies of Borneo, their identification and biology. A.G. Orr, Natural History Publication (Borneo) – 2003.
5- Robin Ngiam & Marcus Ng – A photographic guide to the Dragonflies and Damselflies of Singapore – John Beaufoy Publishing – 2022
6- Dictionary of Word Roots and Combining Form, compiled from the Greek, Latin and other languages with special reference to biological terms and scientific names, Donald J. Borror, 1960.