
Je n’ai pas eu plus de chance qu’en Malaisie pour photographier le tout petit Libellago hyalina ; nous avons pu en observer plusieurs le long d’un très profond fossé, au bord d’une route très fréquentée près de Kuching mais il a été impossible de vraiment les approcher. La pente était trop forte et ils se sont montrés très timides, reculant dès que l’on parvenait à 2 mètres.
J’avais cru voir de vieux sujets en Malaisie, j’avais trouvé la couleur de l’abdomen assez terne et je pensais les voir plus lumineux dans leur jeunesse.

Mais non, ils ont le thorax très sombre, presque noir, avec des reflets vert profond et un abdomen rouge violacé, une teinte particulière et peu commune. Selys, qui l’a décrit sous le nom de Micromerus hyalinus, un genre aujourd’hui disparu, voyait même cet abdomen noir (sujet terni en collection) et parlait de l’ensemble du corps noir violâtre.
On remarque bien sûr ses ailes hyalines, ce qui est assez peu commun parmi les Chlorocyphidae.

Que ce soit à Bornéo ou ailleurs, son identification ne pose pas de problème si on additionne ailes hyalines et abdomen violacé.
Sa longueur totale n’est que de 20 à 22 mm à Singapour (2).
Lors de notre prospection en pirogue, avec Rory Dow, dans le Parc National de Maludam, en pirogue, nous avons eu la chance de contacter plusieurs femelles, mais la qualité des photos est aléatoire depuis une petite embarcation en mouvement…
Elles sont certainement jeunes, comme le montrent leurs yeux clairs et leurs ptérostigmas blancs, mais l’aile est toujours hyaline.


Le Clearwing gem, comme le nomme les anglosaxons se plait en forêt marécageuse ou sur des cours d’eau lents en forêt ; nous ne l’avons toutefois rencontré qu’en limite de ces zones, là où le soleil les atteint.
Sa distribution géographique s’étend du sud du Vietnam et du Cambodge, au sud de la Thaïlande et à travers la Péninsule Malaise et Singapour jusqu’à Sumatra et Bornéo.
IUCN Red List.
Les deux femelles ci-dessous, surprises en pleine conversation, ont l’air vraiment étonnées de rencontrer des touristes dans cette zone. L’espèce est bavarde et nous avons également rencontré un mâle en conversation avec un mâle Elattoneura aurantiaca !

Étymologie
Libellago ; le genre a été créé par Selys en 1840 et on pense qu’il est formé du latin libellula pour libellule et du suffixe ago, sans doute par imitation de la construction du terme virago, qui, en latin, signifie « femme forte et courageuse comme un homme » et donc éventuellement héroïne (vir pour homme et ago = ? « . Le suffixe -ago, ne semble pourtant pas avoir de signification qui expliquerait la construction des très rares mots français qui l’utilisent. C’est l’explication défendue très succinctement par Ngiam et Ng (4).
Et j’ai passé de longues heures à essayer de confirmer cette hypothèse ; et finalement, Selys, dans l’Appendix de sa « Monographie des libellulidées d’Europe » (5) et plus précisément dans sa « Note sur le triangle discoïdal des Libellulidées » écrit à propos du genre Libellago : « Ce genre, très-distinct sous tous les rapports, rappelle certaines Libellules. On peut, à la rigueur, y découvrir un triangle discoïdal, mais il ne diffère pas, par sa construction, des autres cellules carrées« . Il faut donc bien comprendre Libellago comme « ayant des similitudes avec les Libellules » sur le plan de la nervation.
Plus tard, je me suis aperçu que cette référence, que j’ai eue tant de mal à trouver, est dans Wikipedia.
Hyalina, du grec ancien hyalinos, qui signifie transparent (comme du cristal) se rapporte bien sûr à ses ailes dépourvues de marques colorées ; Selys écrit : « le mâle est distinct de tous par ses ailes supérieures sans taches ».
1- Selys, 1859 – Additions au synopsis des Calopterygines. Bulletins de l’Académie royale des sciences, des lettres et
des beaux-arts de Belgique. P. 447.
2- Robin Ngiam & Marcus Ng – A photographic guide to the Dragonflies and Damselflies of Singapore – John Beaufoy Publishing – 2022