
Retrouver un lien vers l’article (1) dans lequel Selys a décrit Xiphiagrion cyanomelas a été une aventure… Ses textes ont le plus souvent été publiés par le Bulletin de l’Académie Royale de Belgique, mais ils sont très nombreux et ont fait l’objet d’éditions différentes, de compilations, d’additions et de suites qui font que, parfois, le jeu de piste est pénible, car la consultation page après page de ces vieux documents numérisés n’autorise pas de recherche rapide sur des termes précis (j’ai une grande partie de ses publications sous forme de .pdf, mais j’essaye toujours d’en fournir un lien).
Il a décrit un couple provenant des Moluques, un ensemble d’iles sans doute Malaisien à l’époque de Selys, mais certainement Indonésien actuellement ; et ce qui est étonnant est qu’il mentionne « Thorax grêle, court, noir acier en avant jusqu’au-delà de la suture humérale, les côtés bleus, la poitrine plus pâle. » oubliant la petite tache bleue du mésothorax (pourtant tellement spéciale), juste en arrière du prothorax. Sans doute avait-elle disparu sur un sujet desséché (elle est variable en taille et peut être plus petite encore).
Quoi qu’il en soit, je ne peux pas trouver dans mes souvenirs un Coenagrionidae avec lequel on pourrait le confondre, tant il est simplement noir et bleu. Il a assurément un faux air d’Ischnura sp., mais il n’a pas de taches postoculaires et ses ptérostigmas le disqualifient d’emblée.

Pour sa taille, je me réfère à Ris (2) qui a rencontré et mesuré Xiphiagrion karschi dans les iles Bismarck ; il sera plus tard synonymisé avec Xiphiagrion cyanomelas. Son abdomen mesure 24 mm et le corps entier de ce zygoptère atteint 29.5 mm.
Nous l’avons rencontré au bord d’un étang, perché sur des herbes émergentes, malheureusement trop loin de nous. Dans la littérature, il a été trouvé au bord de ruisseaux, sur des flaques d’eau, et Lieftinck (3) rapporte son observation à Java sur un ruisseau dépourvu de végétation, à part des algues, dans une zone désolée entre deux cratères actifs. Les eaux sont chaudes et sulfureuses et de nombreuses larves sont présentes dans une eau à 42°C ! Finalement, que les larves supportent aisément cette température ne doit pas nous étonner : certaines espèces, comme Pantala flavescens par exemple, pondent dans des flaques d’eau dont la température, dans la journée, doit atteindre des valeurs très importantes.
Il est présent dans toute l’Indonésie, dans tous les états de Bornéo (donc aussi en Malaisie), en Nouvelle-Guinée, dans les iles Salomon et Bismarck et aux Philippines.
IUCN Red List.
Il n’y avait que 2 ou 3 mâles matures, mais aussi quelques immatures, l’occasion d’observer une femelle. Bien sûr, l’identification est confirmée par la petite tache claire à la partie antérieure du thorax.


Une anecdote : Roger Garrisson, fameux entomologiste américain spécialisé en odonatologie, expert mondial des Argia (entre autres !), a publié une note en 2012 (4), dans laquelle il relève que Skiallagma baueri, décrit de l’état de Sao Paulo, au Brésil est en fait un Xiphiagrion cyanomelas dont l’origine géographique était erronée. Ce n’est pas un cas isolé, les étiquettes attachées aux insectes en collection sont souvent abrégées, vieillies et illisibles !
J’ai demandé à ce spécialiste américain des odonates l’accès à son article et je complèterai cette petite rubrique lorsque je l’aurai lu.
Étymologie
Xiphiagrion ; Selys a créé ce genre pour l’espèce qui nous occupe ici (il n’existe qu’une seule autre espèce, en Nouvelle- Guinée, X. truncatum) à partir du grec xiphos qui signifie épée, et de agrion, du grec agrios pour sauvage, vivant dans les champs et qui, par usage, est devenu un suffixe qui signifie « appartenant aux Coenagrionidae ». Cette épée fait vraisemblablement référence à l’épine vulvaire des femelles : »valvules vulvaires plus longues que l’abdomen, jaunâtres ainsi que l’épine très-aiguë de leur base. »
Cyanomelas, du grec kuánéôs pour bleu-sombre et de melas pour noir, se rapporte évidemment aux deux seules couleurs portées par ce zygoptère si particulier que je regrette de ne pas avoir pu approcher (toutes les photos avec une focale de 300 mm).
1- Selys, 1876 – Synopsis des Agrionines (Suite de la 5° Légion : Agrion) – Le Grand Genre Agrion – Bulletin de l’Académie royale de Belgique (Série 2): 41 (??): 247-322. P. 321.
2- Ris, 1900 – Libellen vom Bismarck-Archipel gesammelt durch Prof. Friedr. Dahl – Archiv Naturgeschichte – P. 197.
3- Lieftinck, 1932 – Annotated list of Javan Odonata – Treubia P. 400.
4- Garrisson, 2012 – Skiallagma baueri Förster 1906, a geographically misplaced damselfly, is a junior synonym of Xiphiagrion cyanomelas Selys 1876 (Odonata: Coenagrionidae) – Zootaxa 3514(3514):84-88.