Chalcolestes viridis, le Lestes vert, est sans doute le plus commun des Lestidae en France, certainement le plus observé et le plus photographié, avec son cousin L. barbarus.

Description – Identification
Le mâle Chalcolestes viridis est vert métallique avec des reflets cuivrés à maturité, il ne se couvre jamais de pruinosité comme les Lestes. Grand, il atteint 39 à 48 mm, sa face est claire, avec le clypeus et le labrum bleu clair, les yeux sont gris, puis marron, il ne porte pas de tache postoculaire. Le thorax vert métallique, jaune dans ses parties inférieures, porte une pointe colorée du même vert. Tous les segments abdominaux sont verts au-dessus, jaunes en dessous, les appendices anaux supérieurs (cerques*) sont clairs à pointe sombre.
Les ailes sont pédonculées, hyalines, les ptérostigmas sont longs et clairs.
Munis des trois critères figurant ci-dessus en gras, on ne peut le confondre avec aucun Lestes. Il est par contre presque indiscernable de C. parvidens, absent de France continentale, mais présent en Corse, il faut alors examiner les appendices anaux.
Les femelles sont identiques aux mâles à la réserve des pièces génitale, l’ovipositeur est massif. Le risque de confusion en raison de la pointe thoracique et des ptérostigmas clairs, est, comme pour les mâles, quasi nul au nord de l’Italie.

Habitat et distribution géographique
Son habitat est conditionné à la présence de végétaux ligneux tendres dont les rameaux surplombent l’eau puisque cette espèce a la particularité de pondre dans ces parties vivantes. On le trouve sur les mares, les étangs, les canaux, les rivières lentes dont les rives sont bordées d’arbres.
En France, on le rencontre principalement en plaine (record d’altitude 2310 m), mais il est présent dans tous les départements.
Atlas Dynamique des Odonates de France
En Europe, il est présent du sud-est de l’Angleterre, à travers la France et l’Espagne jusqu’au Maghreb. Au nord, il atteint le sud du Danemark et la Lituanie, encore commun en Hongrie, ses populations deviennent très disséminées en Biélorussie, Ukraine et Roumanie.
IUCN Red List
Période de vol
Chalcolestes viridis est typiquement un odonate de l’été, il apparaît fin mai, pour atteindre son pic d’affluence en août. Il est un des derniers odonates à disparaître à la mauvaise saison, présent encore en octobre, parfois novembre et si la saison est clémente, dans le sud, on le voit encore voler début décembre.
Comportement – Écologie

On les trouve le plus souvent dans les arbustes de la berge, un peu à l’ombre, pendant presque verticalement ou à 45°, les ailes ouvertes.
À certaines périodes de la journée, on voit les mâles et les femelles se côtoyer passivement dans les branchages, à d’autres les mâles sont territoriaux, chassent les autres de leur petit territoire et les femelles qui s’y aventurent sont aussitôt capturées.
L’accouplement se déroule souvent dans les arbustes où les sujets vont pondre.
En effet, durant la ponte qui se déroule presque toujours en tandem, les femelles insèrent leurs œufs (1,4 mm x 0,25 mm) sous l’écorce des arbustes ou des arbres, jusqu’à 3 m de haut (1) ; si on cite fréquemment les saules ou les aulnes comme substrat de ponte, la liste des végétaux qui peuvent être choisis est très longue (2). Dans Wildermuth, Gonseth & Maibach, 2005 (3), on lit que 37 espèces de feuillus ont été retrouvés comme substrat de ponte. Les femelles pondent parfois seules dans la soirée (4).
Les populations sont parfois localement très abondantes et les cicatrices de ponte très spectaculaires peuvent se compter par milliers sur un même arbuste ; on lit même que des dégâts ont parfois été signalés sur des arbres fruitiers (5). Ces cicatrices perdurent bien au-delà de son temps d’occupation par la larve.
La prolarve s’extraira de son logement après l’hiver pour tomber directement dans l’eau, ou se débrouillera en se tortillant pour rejoindre l’eau (6)… ou pas. La phase larvaire dure 3 mois et compte 9 à 13 stades (1). Cette larve est agile et capable de monter jusqu’au moins 110 cm pour trouver son lieu d’émergence (6).
Chalcolestes vriidis exuvie, lac du Verdon (F-49), 06/07/2013
Étymologie
Chalcolestes ; du grec khalkos pour cuivre, en raison de la couleur des sujets matures, et de lestes. Le genre Lestes a été créé par Leach (1815) et vient du mot grec ληστησ qui signifie voleur ou pirate, très vraisemblablement en raison de la forme des appendices anaux qui évoque le coutelas courbé et dentelé des pirates.Chalcolestes signifie donc que nous avons affaire à un Lestes cuivré.
Viridis, du latin – viridis – pour verdoyant ou vert, en référence à la couleur dominante de l’insecte. On note que nos inventeurs ont finalement donné exactement le même nom scientifique, même si les termes changent, à ces Lestes viridis et virens. Heureusement, notre Lestes viridis est devenu Chalcolestes !
Le changement de Lestes vers Chalcolestes a été très lentement accepté par la communauté odonatologique puisque c’est en 1920 que Kennedy a créé ce nouveau genre, observant qu’il « diffère des Lestes par le fait que le segment haut de l’arculus est égal au segment bas et qu’il manque au pénis le pli interne » (7).
On savait aussi que la forme du masque (prementum) était différente, plutôt large à sa base, plutôt étroit à sa base pour les Lestes.
D’autres différences de comportement, en particulier le fait qu’il ponde dans les bois vivants comme C. parvidens, laissaient planer un doute sur l’appartenance de ces deux espèces au genre Lestes.
Pourtant (8) dans de très nombreux guides de référence (Askew, 1988; d’Aguilar, Dommanget, & Préchac, 1986; Wildermuth, Gonseth & Maibach, 2005 ; Dijkstra & Lewington, 2006), c’est Lestes qui restait employé, et celui rédigé par Dijkstra et Lewington en 2006 (9), dont la version française « Libellules de France et d’Europe » a été un bestseller, a certainement contribué à la poursuite de ce qui est bien considéré maintenant comme une erreur. Dans cet ouvrage, les auteurs notent tout de même que Lestes viridis et Lestes parvidens sont parfois placés parmi un nouveau genre, les Chalcolestes. La dernière version (2020) de cet ouvrage prend en compte ce changement de nom de genre.
1- Daniel Grand et Jean-Pierre Boudot, Les Libellules de France, Belgique et Luxembourg, collection Parthénope, 2006
2- Matushkina N. & Gorb S., 2003 – A check-list of substrates for endophytic oviposition of some European dragonflies (Insecta: Odonata)- The Kharkov Entomological Society Gazette 2002 (2003), volume X, issue 1–2
3- Wildermuth, Gonseth & Maibach, 2005 – Odonata : les Libellules de Suisse – Fauna Helvetica 11 – P. 108
4- G. Jurzitza, 1993 – Libellules d’Europe – Europe Centrale et Léridionale – Delacahaux et Niestlé
5- J. d’Aguilar, J-L Dommanget, R. Prechac – Guide des Libellules d’Europe et d’Afrique du Nord – Delachaux & Niestlé, 1985.
6- Paul André Robert, Les Libellules, Delachaux et Niestlé, 1958
7- Kennedy, C.H.,1920 – FORTY-TWO HITHERTO UNRECOGNIZED GENERA AND SUBGENERA OF ZYGOPTERA. The Ohio Journal of Science – Vol. XXI, No. 2, Dec 1920
8- Vajda, C., Szabó, L. J., Cserháti, C. & Dévai, G. (2018). Analysing the European genera of family Lestidae (Odonata: Zygoptera) with special emphasis on the status of Chalcolestes based on the morphological characteristics of male adults. International Journal of Odonatology, 21, 241–259. P. 2
9- Guide des Libellules de France et d’Europe, K. -D.B. Dijkstra & R. Lewington, Delachaux et Niestlé, 2007
* Piney B. & Krieg-Jacquier, 2024 – Nomenclature française des appendices anaux des imagos et larves d’odonates : pour l’abandon du terme « cercoïdes » – Martinia 38(1): 1-19