
J’ai été surpris de constater à mon retour que ce n’était que la seconde fois que je rencontrais Orthetrum testaceum. Je ne me souvenais pas de sa répartition et lors d’autres voyages en Asie, plus au nord, j’avais toujours peur de la confusion avec O. chrysis.
Les deux espèces sont présentes au Sarawak. Mais comme toujours, quand on les voit l’une à côté de l’autre comme ci-dessous, il paraît difficile de les confondre.


Orthetrum testaceum mâle mature, Sarawak, Bung Ngiraja, 26/03/2025
Orthetrum testaceum montre un abdomen plus rouge que rose, la face dorsale du thorax est colorée, jaune orangé, non marron terne, les yeux de la même couleur et non pas gris-bleu. Le front de O. chrysis est sombre parfois noir métallique, celui de Orthetrum testaceum jaune orangé. La tache alaire basale de ce dernier est aussi plus étendue.
Ils sont à peu près de la même taille et notre sujet mesure 43 à 48 mm (1).
À Singapour et là où l’anglais est utilisé…, il prend le nom de Scarlet Skimmer (nom qui est souvent donné en Asie à Crocothemis servilia ! Mais à Singapour, ce dernier est nommé Common Scarlet). On l’appelle aussi Rufous-backed Skimmer, ce qui le différencie bien de O. chrysis. Mais aussi Crimson dropwing ou Orange skimmer.
Nos amis anglais ont un petit problème avec les noms scientifiques et cherchent parfois à s’approprier linguistiquement les noms des espèces animales sous prétexte qu’ils sont plus faciles à retenir pour les non-initiés ; ils ont ainsi réussi à créer une assez extraordinaire confusion pour de nombreuses espèces en Asie.
Bien sûr, leur langue est moins directement liée au latin, et, il faut le reconnaître, les noms vernaculaires modernes établis par un comité scientifique sont souvent très efficaces et descriptifs de l’espèce.


Nous sommes certainement arrivés à une période de fin d’émergence de l’espèce, car nous avons vu autant de sujets matures, que de sujets en cours de maturation ou immatures. Les deux sujets ci-dessus sont en train de prendre leurs couleurs définitives, mais on devine encore la couleur jaune clair des immatures.


Il n’est assurément pas difficile sur son habitat ; nous en avons observé sur une assez large rivière, sur des fossés, dans une zone marécageuse en limite de forêt ou sur de petites mares (une grande flaque) ou le couple ci-dessous était en ponte.

Son aire de distribution est donc relativement plus limitée que je ne l’imaginais, depuis l’est de l’Inde, le Myanmar, le Cambodge et la Thaïlande jusqu’à Bornéo et les Philippines à travers la Péninsule Malaise. Il est absent du Cambodge, du Laos et du Vietnam où il est souvent confondu avec O. chrysis (et même en Chine).
IUCN Red List.

Ci-contre, cet agrandissement de l’aile d’un autre mâle immature montre deux diptères parasites, sans doute du genre Forcipomyia.
D’ailleurs, sur la première photo de cette page, on distingue également un de ces parasites à la limite de la zone ambrée de l’aile postérieure droite.
Orthetrum testaceum mâle immature, Mount Matang, 23/03/2025.
Étymologie
Burmeister (1) a décrit l’espèce à partir d’un sujet de Java, partiellement en latin, comme c’était encore l’habitude, et en allemand gothique, sous le nom de genre Libellula qui était alors le refuge de tous les Libellulidae (et autres) et débordait d’espèces. Le genre étant féminin, il fait l’accord et l’espèce est appelée testacea.

Orthetrum (3) vient de deux mots grecs, orthos signifiant « droit » et etron « abdomen« , ceci pour signifier que les côtés de l’abdomen sont parallèles. Ce nom de genre (neutre) créé par Newman en 1833 a perdu sa pertinence avec la découverte de nouvelles espèces, mais le nom est resté.
Testaceum, du latin testaceus, qui signifie terre cuite pour évoquer la couleur brique des individus. Il faut toujours avoir à l’esprit que Burmeister n’a jamais vu de sujets vivants et ne travaillait que sur des sujets mis en collection dont les conditions de conservations étaient très aléatoires.
Noter que Burmeister mesure l’espèce à » 1″ 10 »’ » soit un pouce et 10 lignes qui correspondent à une mesure entomologique allemande équivalente à 27.05 mm + 22.5 mm soit approximativement 49.5 mm.
Wilhelm von Winthem (1799-1847) était un riche marchand de Hambourg, qui avait constitué une collection d’insectes mondialement célèbre.
1- Robin Ngiam & Marcus Ng – A photographic guide to the Dragonflies and Damselflies of Singapore – John Beaufoy Publishing – 2022
2- Burmeister, 1839 – Handbuch der Entomologie (vol. 2) p. 859.
3- The Naming of Australia’s Dragonflies, Ian Endersby & Heinrich Fliedner, Busybird publishing.