
Même si j’avais déjà rencontré Ceriagrion cerinorubellum en Malaisie Continentale, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi j’ai été ravi de le revoir ! Il présente un assemblage de couleurs tout à fait spectaculaire, variable en fonction de l’âge, avec une apparence très particulière du thorax, lisse et glabre. Le rouge ou orange intense des premiers segments contraste avec le bleu/vert pâle du thorax et semble en feu.
Malheureusement le temps était à la pluie et les photos manquent de sa gaité.


Il est bien sûr impossible de le confondre avec un autre zygoptère.
Brauer (1) a mesuré cette beauté, son exemplaire provenait de Ceylan (notre actuel Sri Lanka) à 37 mm, à Singapour (2), on lui donne 35 à 38 mm.
Et ses yeux bleu-vert sont à tomber !

On le trouve dans toutes sortes d’environnement ; dans cette réserve, ils étaient quelques-uns à peupler des herbes basses le long d’une mare, en limite d’un bois. On le trouve également sur les marais ou les ruisseaux un peu ouverts en forêt.
Il est connu, comme les Ceriagrion en général, pour être agressif avec les autres zygoptères ; d’après mes recherches sur le cannibalisme, les Ceriagrion sont d’ailleurs le second genre le plus impliqué dans le cannibalisme après les Ischnura et j’ai enregistré neuf cas concernant Ceriagrion cerinorubellum (j’ai découvert un neuvième cas en rédigeant ces pages).
Et j’avais bien ces chiffres en tête lorsque j’ai fait les photos ci-dessous ; il met aux prises deux mâles matures, celui qui est attaqué semblant mal formé, l’abdomen anormalement coudé.



Mais hélas, il ne s’agissait sans doute que d’une altercation, ou même plus vraisemblablement d’une tentative d’accouplement (cela arrive !) ; sur la première photo, le mâle supérieur semble tenter d’approcher ses appendices anaux en pince du pronotum du mâle du dessous. Les deux individus se sont séparés et ont disparu dans la végétation.
Son aire de distribution est gigantesque en Asie subtropicale et tropicale, depuis l’Inde de l’Ouest, jusqu’au Vietnam et aux Philippines, plus au sud, il atteint Bornéo, la Malaisie et l’Indonésie.
IUCN Red List.
Sur cette aire, il reçoit de nombreux noms vernaculaires dont le plus commun est Orange-tailed Marsh Dart, Ornate Coraltail à Singapour, Painted Coraltail ou Bi-coloured Damsel (?) en Inde et même Painted Waxtail.
Le sujet ci-dessous à droite est sans doute âgé et la face dorsale de son thorax est devenue bien terne.


Les femelles sont très proches des mâles et il faut faire attention aux caractères sexuels pour les différencier ; constater bien sûr la forme des appendices anaux ou des derniers segments et l’absence de saillie sous le deuxième segment (S2).


Mais elles sont parfois beaucoup plus ternes.

Étymologie
Il est à noter que Brauer décrit l’espèce sous le nom de Ceriagrion (Pyrrhosoma) cerino rubellum et qu’il a cru avoir en main une espèce décrite par Rambur sous le nom de Agrion cerinum, 1842, mais les appendices anaux de cette dernière espèce étaient décrits comme courts (on voit comme ils sont longs sur certaines de mes photos). Cet Agrion cerinum est maintenant nommé Ceriagrion coromandelianum présent aussi à Ceylan (mais pas à Bornéo).
Ceriagrion (3) ; le genre a été créé par Selys, 1876, lorsqu’il a divisé le grand genre Agrion, vraisemblablement pour l’espèce cerinorubellum, à partir de agrion (très utilisé pour la création de noms de… Coenagrionidae et qui est issu du grec agrios pour sauvage, vivant dans les champs) et du latin cerinus signifiant couleur (ou aspect ?) de cire, comme le thorax lisse et glabre du genre.
Cerinorubellum a été composé par Brauer à partir du nom de deux espèces qu’il cite dans son document : Agrion cerinum de Rambur (futur C. coromandelianum) et Agrion rubellum de Van der Linden (qui deviendra Ceriagrion tenellum (de Villers)). Rubellum en latin signifie rougeâtre, tirant sur le rouge.
Je rappelle encore une fois que tous les auteurs cités travaillaient sur des sujets en collection, desséchés et dont les couleurs avaient pu grandement évoluer. La plupart du temps, quand ils se référaient à des travaux antérieurs, il n’y avait pas de dessin, en particulier des appendices anaux.
1- Brauer, 1865 – Auf der Fregatte Novara gesammelte Libellulinen – Verhandlungen der Kaiserlich-Königlichen Zoologisch-Botanischen Gesellschaft in Wien – Vol.15, p. 501-512. P. 511.
2- Robin Ngiam & Marcus Ng – A photographic guide to the Dragonflies and Damselflies of Singapore – John Beaufoy Publishing – 2022
3- Fliedner, 2006. The scientific names of the Odonata in Burmeister’s « Handbuch der Entomologie ».